Signes convictionnels au travail: interdiction admise pour les agents publics en "back-office" si elle est systématique!

Signes convictionnels au travail: interdiction admise pour les agents publics en "back-office" si elle est systématique!

La Cour de Justice de l’Union Européenne admet une politique de neutralité dans le secteur public qui s’applique indistinctement aux agents en contact avec les usagers et ceux qui ne le sont pas, si l’objectif poursuivi est le respect d’un environnement administratif entièrement neutre et à condition qu’elle s’applique de manière systématique et à tous les signes convictionnels, petits ou grands.

Dans un arrêt du 28 novembre 2023, la Cour de Justice de l’Union Européenne a répondu à deux questions préjudicielles posées par le Tribunal du travail de Liège.

Celles-ci faisaient suite au cas d’une employée administrative de la Commune d’Ans qui, après cinq années de fonction en "back-office" (sans contact avec les usagers publics), a demandé à pouvoir porter le voile durant son service.

La Commune a répondu négativement et a, quelques mois plus tard, intégré dans son règlement de travail une interdiction généralisée à l’ensemble de son personnel de porter un quelconque signe convictionnel ou religieux.

Dans le cadre de son analyse, la Cour de Justice établit comme postulat de départ que chaque État membre et chaque entité locale dispose d'une marge d'appréciation dans l'interprétation de la neutralité sur le lieu de travail, en fonction de son contexte spécifique.

Elle rappelle également qu’une politique de neutralité exclusive est susceptible de constituer une distinction indirecte fondée sur les convictions ou la religion, mais peut être justifiée par un objectif légitime si l’interdiction est appropriée et limitée à ce qui est nécessaire et proportionné.

Dans le cas d’espèce, la Cour admet le respect d’un environnement administratif totalement neutre comme objectif légitime et admet, contrairement à sa précédente jurisprudence, que l’interdiction soit généralisée à tous les membres du personnel, y compris les agents qui ne travaillent pas en contact avec le public.

La Cour rejoint ainsi ce qu’elle avait déjà décidé deux ans plus tôt pour le secteur privé. Dans un arrêt du 15 juillet 2021, la CJUE avait validé le principe d’une politique de neutralité appliquée également aux fonctions de "back-office" dans une entreprise privée, en admettant pour la première fois comme objectif légitime le maintien de la paix sociale au sein de l’entreprise.

En conclusion, il semble que la CJUE adopte un comportement plus souple vis-à-vis des politiques de neutralité, en ne faisant plus de grande distinction de principe entre le secteur public et le secteur privé, ou entre les travailleurs en fonction des contacts qu’ils ont ou pas avec le public.

En revanche, la Cour rappelle dans son arrêt que chaque situation doit faire l’objet d’une analyse précise et concrète, ce dont est chargée la juridiction nationale saisie.

Elle laisse ainsi aux juridictions nationales le soin de vérifier que la règle de neutralité est apte, nécessaire et proportionnée, mais elle pose néanmoins deux conditions :

  • la politique de neutralité doit être appliquée de manière cohérente et systématique à tous les travailleurs ;
  • la politique de neutralité doit s’appliquer indistinctement à tous les signes convictionnels, qu’ils soient ostentatoires ou de petites tailles.