Audition préalable et motivation du licenciement des contractuels du secteur public: le cadre enfin adopté!

Audition préalable et motivation du licenciement des contractuels du secteur public: la cadre enfin adopté!

Depuis une dizaine d’années, une lacune législative en matière de licenciement des agents contractuels du secteur public fait couler beaucoup d’encre. En effet, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 26 décembre 2013 sur le statut unique entre ouvriers et employés, il est prévu qu’un régime analogue à ce que prévoit la C.C.T. n° 109 dans le secteur privé, soit organisé pour le secteur public.

Il aura donc fallu dix ans, et de longues négociations, pour finalement obtenir ce nouveau régime légal. C’est en effet ce 29 février 2024 que le projet de loi, qui a fait l’objet de quelques adaptations en cours d’examen par la commission parlementaire ad hoc, a finalement été adopté en séance plénière. Cette nouvelle loi du 13 mars 2024 a été publiée au Moniteur belge ce 20 mars et entrera en vigueur le 1er mai 2024. 

 

  • Audition préalable

    Ce que l’on sait

    Dorénavant, dans la continuité de ce qu’avait déjà décidé la Cour constitutionnelle dans un arrêt du 22 février 2018, l’agent contractuel devra nécessairement faire l’objet d’une audition préalable à son licenciement, si une telle mesure est envisagée pour des motifs liés à la personne ou au comportement de l’agent. 

    Une audition préalable ne sera donc en principe pas obligatoire en cas de licenciement envisagé pour des motifs économiques ou de nécessités de fonctionnement du service. 

    Afin de permettre à l’agent de préparer utilement son audition ou de formuler ses observations écrites, il est prévu que les faits et motifs de la décision de licenciement envisagée soient communiqués à l’agent moyennant un délai préalable "suffisant".

    À défaut pour l’employeur de respecter ces obligations, le licenciement reste valable, mais l’agent est en droit de réclamer une indemnité forfaitaire correspondant à deux semaines de rémunération (à l’instar de "l’amende civile" prévue dans le secteur privé par la CCT n° 109).

    Ce qui pose encore question

    Il reste certaines zones d’ombre suite à ce nouveau régime de licenciement propre au secteur public.

    Il n’est par exemple pas précisé dans le texte ce qu’il faut entendre par "délai suffisant" endéans lequel l’agent doit recevoir, avant d’être entendu, les motifs qui justifient que son licenciement soit envisagé.

    En outre, il est attendu de voir comment les juridictions du travail vont se saisir de cette faculté d’infliger une indemnité automatique et forfaitaire de deux semaines de rémunération. Une certaine jurisprudence permettait en effet à l’agent n’ayant pas été auditionné d’obtenir l’indemnisation de sa perte d’une chance de conserver son emploi, moyennant la preuve de la faute, du dommage et du lien causal. On peut donc se demander si les juridictions vont concilier les deux indemnisations ou les exclure mutuellement.

 

  • Motivation du licenciement

    Ce que l’on sait

    À la différence de ce qui est prévu dans le secteur privé, l’employeur public devra communiquer par écrit les motifs concrets du licenciement d’initiative, et non sur demande du travailleur.

    Cette communication doit avoir lieu dans le cadre de la notification du licenciement au travailleur. Autrement dit, le courrier de licenciement devra reprendre les éléments qui permettent au travailleur de connaitre les motifs concrets qui ont conduit à son licenciement.

    La sanction applicable à l’employeur qui ne respecte pas cette obligation de motivation est la même que celle applicable pour l’absence d’audition préalable, et la même également que ce qui existe dans le secteur privé : une indemnité forfaitaire s’élevant à deux semaines de rémunération.

    Ce qui pose encore question

    Le texte n’est pas clair sur la question de savoir ce qu’il en est quand tant l’audition préalable que la motivation du licenciement fait défaut ; l’employeur doit-il payer deux indemnités ou bien n’est-il, dans ce cas, redevable que d’une seule et unique indemnité de deux semaines de rémunération ? Ni le texte de loi, ni ses travaux préparatoires, ne le précise.

 

  • Licenciement "manifestement déraisonnable"

    Ce que l’on sait

    Sur ce point, l’agent contractuel du secteur public bénéficie des mêmes protections que son homologue du secteur privé.

    La définition du licenciement "manifestement déraisonnable" est identique et reprend les deux mêmes conditions qui, pour rappel, sont cumulatives : "Un licenciement manifestement déraisonnable est le licenciement d’un travailleur engagé pour une durée indéterminée, qui se base sur des motifs qui n’ont aucun lien avec l’aptitude ou la conduite du travailleur ou qui ne sont pas fondés sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service, et qui n’aurait jamais été décidé par un employeur normal et raisonnable".

    De même, l’indemnisation en cas de licenciement "manifestement déraisonnable" est fixée entre 3 et 17 semaines de rémunération. 

    Celle-ci, à l’instar de ce qui est prévu à la C.C.T. n° 109, ne peut être cumulée avec "toute autre indemnité qui est due par l’employeur à l’occasion de la fin du contrat de travail, à l’exception de l’indemnité de préavis, de l’indemnité de non-concurrence, de l’indemnité d’éviction, des indemnités complémentaires payées en plus des allocations sociales".

    La loi précise en outre qu’elle n’est pas non plus cumulable avec les indemnités qui sont prévues dans le cadre d’une procédure spéciale de licenciement (protection des conseiller en prévention, protection de certains délégués syndicaux, etc.), à l’exception bien entendu de l’indemnité de deux semaines de rémunération allouée en cas d’absence d’audition ou de motivation.

    Quant à la charge de la preuve, elle est réglée de manière identique à ce qui existe dans le secteur privé, mais en des termes différents. Il est prévu que l’employeur qui ne satisfait pas à son obligation de communication d’initiative des motifs de licenciement, a la charge de prouver que le licenciement n’est pas "manifestement déraisonnable". S’il y satisfait par contre, c’est le droit commun de la preuve qui s’applique : chacune des parties ayant la charge de prouver les faits qu’elle allègue. 

    Ce qui pose encore question

    Compte tenu du fait que le champ d’application de la loi prévoit les mêmes exclusions que celles de la C.C.T. n° 109 (ancienneté de moins de six mois, licenciement pour motif grave, licenciement en vue de permettre l’accès à la pension, procédure spéciale de licenciement obligatoire, etc.), les controverses jurisprudentielles actuellement en cours au sujet du champ d’application de la C.C.T. n° 109 s’y appliquent également.

    Pour les cas ainsi exclus, dans l’attente de toute précision législative ou jurisprudentielle, il nous semble que la jurisprudence antérieure relative au licenciement des agents contractuels du secteur public continue à s’appliquer.