Réparation du dommage: disparition de la notion de vétusté?

Réparation du dommage: disparition de la notion de vétusté?

Celui qui, par sa faute, a causé un dommage à autrui est tenu de le réparer et la victime a droit, en règle, à la réparation intégrale du préjudice qu’elle a subi.

Celui dont la chose est endommagée par un acte illicite a droit à la reconstitution de son patrimoine par la remise de la chose dans l’état où elle se trouvait avant ledit acte.

Ces deux principes sont constants dans notre droit de la responsabilité.

Mais comment évaluer les sommes devant être attribuées à la victime lorsque le bien endommagé n’était pas neuf ?

Un vieux mur s’est effondré par la suite de travaux effectué dans son voisinage. Il doit être reconstruit. Mais il était déjà bien délabré. Le tribunal décide donc d’octroyer à la victime un montant qui ne correspond qu’à 56 % de la valeur de reconstruction pour tenir compte de la vétusté qui l’affectait.

Lors d’un vol, un châssis de fenêtre et une porte ont été brisés. Ils étaient bien vieux et sérieusement endommagés, même s’ils continuaient à remplir leurs fonctions. Le tribunal n’accorde à la victime que 50% du coût du remplacement, toujours pour tenir compte de la vétusté qui les affectait.

Problème : les sommes allouées ne permettent donc pas aux victimes de réparer leurs dommages. D’un autre côté, si le montant total des devis de réparation leur avait été accordé, n’auraient-elles pas bénéficié d’une plus-value, liée au fait que le bien réparé se serait trouvé en meilleur état que le bien abîmé ?

Traditionnellement, dans ces circonstances, la Cour de cassation admettait donc la prise en compte d’un coefficient de vétusté pour limiter le montant des indemnités accordées aux victimes. Ce fut encore le cas par deux arrêts prononcés par les chambres néerlandophones les 11 février 2016 et 5 octobre 2018.

Cette solution, qui divergeait de la solution française, était critiquée par plusieurs éminents auteurs. Elle vient d’être renversée par deux arrêts, dont le premier prononcé en audience plénière, des 17 septembre 2020 et 2 mars 2022. Dans les deux cas, la Cour y affirme que "En règle, la personne lésée peut, dès lors, réclamer le montant nécessaire pour faire réparer la chose, sans que ce montant puisse être diminué en raison de la vétusté de la chose endommagée".

Exit donc la notion de vétusté ? Pas nécessairement. "En règle" dit la Cour de cassation. Cela signifie que des exceptions peuvent être tolérées. Quel sera leur contour ? Il est trop tôt pour le préciser. Dans une récente étude ("La réparation du dommage aux biens : de l’application d’un critère de vétusté", in La réparation du dommage, Formation permanente CUP, vol. 212, pp. 181-216), le professeur Sébastien De Rey trace quelques pistes. La vétusté devrait évidemment être prise en compte en présence d’une disposition légale ou d’une clause contractuelle dérogatoire. Pourrait-il en être de même en cas d’abus de droit ? Ou en application d’un critère de proportionnalité ? Ou en imputant à la victime l’avantage que la réparation intégrale lui procure ? Ou si la dégradation antérieure du bien endommagé provient d’un défaut d’entretien ?

A suivre, donc.

Avocat(s)