Preuve par vraisemblance et responsabilité

Preuve par vraisemblance et responsabilité

Le 1er novembre 2020 sont entrées en vigueur les nouvelles dispositions formant le livre 8 du Code civil réglementant la preuve. Elles sont applicables aux procès en cours.

Parmi les nouvelles règles figurent les articles 8.5 et 8.6. Le premier énonce la règle générale. La preuve doit être certaine, c’est-à-dire "rapportée avec un degré raisonnable de certitude". Le second introduit un tempérament pour les faits négatifs ainsi que pour les faits positifs "dont, par la nature même du fait à prouver, il n’est pas possible ou pas raisonnable d’exiger une preuve certaine".

La Cour d’appel de Liège a fait, par un arrêt du 16 septembre 2021, une application remarquable de ce principe de preuve par vraisemblance.

Les faits étaient anciens. En 1991, à la suite d’un accident de circulation, la passagère d’un des véhicules impliqués, enceinte de 5 mois et demi connaît un stress traumatique. Elle est hospitalisée dès le lendemain en raison de contractions utérines. Elle le restera jusqu’à la naissance de son fils, à la 32e semaine. Il est établi qu’un grave handicap résultera de ces éléments.

Le procès dure près de 30 ans. Les parents de l’enfant prétendent que le handicap, conséquence de la naissance prématurée, est en relation causale avec l’accident et, donc, de la faute du conducteur de l’autre véhicule, reconnu partiellement responsable de l’accident. Le premier juge les déboute estimant que la preuve du lien causal entre l‘accident et la naissance prématurée n’est pas établie à suffisance de droit. En effet, la maman n’a pas été blessée lors de l’accident et son tabagisme induisait des risques d’accouchement prématuré (on relève d’ailleurs que lors de son deuxième accouchement elle a également été hospitalisée en raison d’un risque d’accouchement prématuré, qui ne s’est cependant pas réalisé).

La Cour d’appel réforme ce jugement et accueille l’action des parents de l’enfant (et de celui-ci qui, devenu majeur entretemps, a repris l’instance) :
"Compte-tenu de la difficulté qu’il y a à identifier précisément le ou les éléments qui sont à l’origine de l’accouchement prématuré, il est impossible pour les appelants de prouver avec certitude le lien causal entre l’accident et la prématurité de sorte que, conformément à l’article 8.6 du Code civil, une preuve par vraisemblance est suffisante".

Analysant les circonstances de la cause en détail, elle conclut que si la preuve absolue de la relation causale n’est pas établie avec une absolue certitude (les experts étaient d’ailleurs divisés sur ce point), elle l’est en tout cas avec suffisamment de vraisemblance (elle est, selon leurs termes, "hautement probable").

On mesure l’importance de ces nouveaux principes dans des matières où, comme tel est le cas en droit de la responsabilité médicale, la preuve d’un lien causal certain entre une faute et un dommage est souvent très difficile à établir.

Florence George et Gilles Genicot dissèquent cet arrêt dans le numéro 24 de la J.L.M.B., sous le titre "La rencontre du droit de la responsabilité (médicale) et du (nouveau) droit de la preuve" (p. 1067).
 

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