Marchés publics - Avenant modifiant l’objet du marché public : Commentaire de l’arrêt du Conseil d’Etat n° 216.254, du 10 novembre 2011

    

     1.        La compétence du collège communal pour les avenants qui n’entraînent pas une dépense supérieure de 10 % ne l’autorise pas à modifier l’objet du marché

 
Se fondant sur l’article 216 de la nouvelle loi communale, le Collège des Bourgmestre et Echevins de la Ville de Bruxelles confie à l’adjudicataire d’un marché de mobilier urbain qui avait pour objet la fourniture et l’exploitation publicitaire de mobilier urbain servant aux transports en commun, un nouveau service de location de vélos correspondant à l’exploitation du réseau Cyclocity.
 
Cette disposition de la nouvelle loi communale autorise le Collège à étendre un marché public en cours d’exécution sans devoir soumettre cette décision au Conseil communal pour autant que la modification n’entraîne pas une dépense supérieure à 10 %.
 
En Région Wallonne cette prérogative du collège se retrouve à l’article L1222-4 du Code de la démocratie locale.
 
Par son arrêt du 10 novembre 2011 n° 216254, le Conseil d’Etat annule la décision du Collège portant sur l’extension du marché en considérant que les avenants visés par l’article 216 de la nouvelle loi communale ne peuvent avoir une portée telle qu’ils impliquent la conclusion d’un nouveau contrat sans que les règles régissant la mise en concurrence ne soient respectées.
 
Le Conseil d’Etat constate qu’en confiant à l’adjudicataire un nouveau service à savoir l’exploitation d’un dispositif de location de vélos, le Collège a modifié l’objet du marché initial.
 
 

     2.        Consécration de l’arrêt Pressetext de la Cour de Justice

 
Bien que l’arrêt du Conseil d’Etat n’y fasse pas référence, cette décision peut être considérée comme une consécration de la jurisprudence Pressetext de la Cour de Justice.
 
Dans cet arrêt du 19 juin 2008, la Cour de Justice décide que les modifications apportées aux dispositions essentielles d’un marché public doivent être considérées comme une nouvelle procédure de passation – impliquant en principe une nouvelle mise en concurrence – lorsqu’elles présentent des caractéristiques substantiellement différentes de celles du marché initial.
 
La modification d’un marché public peut être considérée comme substantielle lorsqu’elle introduit des conditions qui, si elles avaient figuré dans la procédure de passation initiale, auraient permis l’admission de soumissionnaires autres que ceux initialement admis ou auraient permis de retenir une offre autre que celle initialement retenue (CJCE arrêt du 19 juin 2008 C-454/06 pts 34 et 35).
 
Ces principes s’appliquent également aux concessions de services (CJCE 13 avril 2010, C-91/08, WALL).
 
Suivant la jurisprudence de la Cour de Justice, impliquent une nouvelle procédure de passation non seulement l’extension du marché mais également la cession du marché à un tiers (cas visé dans l’arrêt Pressetext) voir même la simple modification de l’actionnariat de l’adjudicataire (situation invoquée dans l’arrêt Sea du 10 septembre 2009 C573/07) ou encore la prolongation du marché au-delà de son terme initial.
 
 

     3.        Exception à l’obligation de passer une nouvelle procédure

 
Il existe des exceptions à cette obligation de relancer une nouvelle procédure lorsque des modifications importantes sont apportées aux conditions du marché initial :

-      Dans l’arrêt Pressetext la Cour de Justice considère que la substitution d’un nouveau cocontractant à celui auquel le pouvoir adjudicateur avait initialement attribué le marché ne doit pas être considérée comme constituant un changement de l’un des termes essentiels du marché public concerné impliquant une nouvelle procédure de passation lorsque cette substitution résulte d’une réorganisation interne du cocontractant.

Tel est le cas lorsque le cessionnaire du marché est une société dont l’adjudicataire initial est l’actionnaire unique, sur laquelle il dispose d’un pouvoir de direction, pour autant que le prestataire initial continue à assumer la responsabilité du respect des obligations contractuelles et que la prestation globale existante reste inchangée (CJCE arrêt Pressetext pt 54).
 
-       Les « travaux ou services complémentaires » visés à l’article 17 §2, 2°, a) de la loi du 24 décembre 1993, les conditions d’application sont cependant très strictes :
 ·       Ces services ou travaux complémentaires ne peuvent pas figurer au projet initial et doivent résulter de circonstances imprévues les rendant nécessaires à l’exécution de l’ouvrage ou du service ;
·       Le montant cumulé des marchés passés pour les travaux ou services complémentaires ne peut pas excéder 50 % du montant du marché initial ;
·       Ces travaux ou services ne peuvent être techniquement ou économiquement séparés du marché principal sans inconvénient majeur ou quoi que séparables de l’exécution du marché principal, sont strictement nécessaires à son perfectionnement.
-       Les marchés dits de reconduction visés à l’article 17 §2, 2°, b) de la loi du 24 décembre 1993 pour autant également que les conditions soient respectées : 
·       Ces travaux ou services doivent être conformes au projet de base ;
 
·       Le marché initial doit avoir été attribué par adjudication ou par appel d’offre et non par procédure négociée ;
 
·       La possibilité de recourir à cette procédure doit avoir été indiquée dès la mise en concurrence du premier marché ;
 
·       Le recours au marché de reconduction est limité à une période de 3 ans après la conclusion du marché initial ;
 
·       Cette possibilité n’existe que dans le cas des marchés de travaux et de services et non pour les marchés de fournitures.


     4.        Conclusion

 
Une prudence particulière doit donc être de mise lorsque les parties à un marché public envisagent la signature d’un avenant.
 
Depuis l’arrêt Watco du 9 mars 2006, le Conseil d’Etat se reconnaît compétent pour statuer sur une délibération portant sur une modification essentielle des conditions du marché public.
 
Les objectifs poursuivis par cette jurisprudence, à savoir assurer la transparence des procédures et l’égalité de traitements des soumissionnaires sont certes louables.
 
Cependant elle peut s’avérer problématique dans des cas où une décision très rapide doit être prise sur une modification essentielle du marché.
 
On songe aux situations de faillite ou de réorganisation judiciaire dans lesquelles le pouvoir adjudicateur est invité à céder son marché le cas échéant sous le contrôle du Tribunal de commerce à un repreneur.
 
On songe également au cas d’un prestataire de services qui cesse ses activités et remet ses affaires à un tiers alors que les missions qu’il exécute ne sont pas terminées.
 
Avocat(s)