L’opposabilité de la sanction d’absence de déclaration de chantier par un architecte à son assureur

Chantier

Nous avons déjà précisé le contenu des nouvelles obligations d’assurance imposables aux architectes, qu’il s’agisse de l’application de la loi du 31 mai 2017 relative à la couverture d’assurance responsabilité décennale (voir notre article)  ainsi que de la couverture d’assurance obligatoire pour tout professionnel dans le secteur de la construction, de 2019 (voir notre article). 

Le caractère obligatoire de ces polices d’assurance rend inopposable, en application de l’article 151, §1er de la loi du 4 avril 2014, relative aux assurances, la majorité des exceptions aux tiers préjudiciés (souvent les Maîtres de l'ouvrage). Selon cet article, "dans les assurances obligatoires de la responsabilité civile, les exceptions franchises, nullité et déchéances dérivant de la loi ou du contrat, et trouvant leurs causes dans un fait antérieur ou postérieur au sinistre, sont inopposables à la personne lésée. 
Sont toutefois opposables à la personne lésée l’annulation, la résiliation, l’expiration ou la suspension du contrat, intervenue avant la survenance du sinistre
".

Pour la majorité des assurances RC architecte abonnement, les assureurs prévoient régulièrement la fixation définitive de la prime l’assureur en fonction de déclarations annuelles de chantier. Dès lors, quel sort réserver aux hypothèses où l’architecte ne remplit pas ses obligations à cet égard vis-à-vis de son assureur, en se contentant de régler le paiement d’une prime provisoire ?

Cette question a été soumise au Tribunal de première instance du Hainaut, division Charleroi ; le tribunal devait donc déterminer si l’absence de couverture du sinistre, résultant de l’absence de déclaration du chantier par l’architecte à l’assureur, était opposable au maître de l'ouvrage. 

Par un jugement du 11 mars 2021, le tribunal conclut à l’opposabilité de l’absence de couverture du sinistre, en raison de l’absence de déclaration du chantier par l’architecte, considérant que, dans la mesure où la mission confiée à l’architecte n’a pas été déclarée,  le risque qui y est lié "n’est pas rentré dans le périmètre contractuel, et donc dans l’objet-même du contrat". Le tribunal fonde son raisonnement sur les éléments suivants :

  • Tout d’abord un arrêt du 19 octobre 2001 de la Cour de cassation (Pas. 2001, p.1667), où la cour a effectivement considéré que "les exceptions ayant pour objet la portée du contrat et la couverture du risque, (…) ne sont pas comprises parmi les exceptions inopposables à la personne lésée, en vertu de l’article 87, §1er (de la loi du 25 juin 1992)". Cet arrêt relatif à une assurance architecte portait cependant sur l’opposabilité d’une franchise.
  • Un extrait d’une contribution d’Alexandre RIGOLET (assurance obligatoire dans le domaine de la construction, après les lois du 31 mai 2007 et 9 mai 2019, RDC, p. 1116). Cet auteur envisage cependant l’opposabilité au maître de l'ouvrage, de l’absence de couverture des dommages apparents, prévus par l’article 3 de la loi du 31 mai 2007 relative à la couverture d’assurance décennale, cause d’exclusions prévue par la loi, ce qui n’est pas le cas de l’absence de déclaration de chantier par l’architecte.

La décision prononcée par le tribunal vient à rendre opposable à des tiers préjudiciés la sanction d’un manquement contractuel entre assureurs et assurés, sans que l’assureur, dont la couverture est obligatoire, n’ait sollicité l’annulation, la résiliation, ou la suspension du contrat. Le Maître de l'ouvrage, qui pensait que son co-contractant était correctement assuré, que ce soit dans le cadre d’une couverture décennale ou une couverture d’assurance obligatoire, découlant de la loi du 9 mai 2019, se voit ainsi opposer une exception, qui n’est pas prévue par les dispositions légales.

Le jugement apparait donc à cet égard surprenant; il est d’ailleurs frappé d’appel. Si le jugement était confirmé, les droits des maîtres de l'ouvrage, tels qu’ils découlent des deux lois précitées, seraient substantiellement réduits, puisqu’ils permettraient à un assureur de se dédire d’une couverture d’assurance obligatoire, pour laquelle une attestation a d’ailleurs peut-être été émise dans le cadre de la loi du 31 mai 2017, sans que la loi ne le permette.

Cette opposabilité pourrait d’ailleurs être étendue à la couverture décennale obligatoire des entrepreneurs, voire aux couvertures non obligatoires (RC exploitation, RC après livraison, TRC,…) lorsque par exemple l’assuré doit préciser un chiffre d’affaire annuel pour que l’assureur puisse calculer une prime définitive.

A suivre…   


 

Avocat(s)