Le point sur la cession d’un marché public à un nouvel adjudicataire

1.            Le principe de la cession d’un marché public par l’adjudicataire [1]
 
 
La règlementation des marchés publics organise la cession d’un marché dans l’hypothèse précise du décès de l’adjudicataire, personne physique, et de la reprise du marché par ses ayants-droit (art. 21 du cahier général des charges), moyennant l’accord du maître de l’ouvrage.
 
En dehors de cette hypothèse particulière, la cession d’un marché à un nouvel adjudicataire est largement admise par la doctrine et la jurisprudence.
 
 
1.1.   Les hypothèses visées :
 
La cession du marché est l’opération par laquelle un tiers reprend les droits et obligations nés du contrat.
 
Ne sont donc pas visées les hypothèses où la personnalité juridique de l’adjudicataire reste inchangée (changement de forme juridique, changement d’actionnariat, …).
 
Il y a cession du marché lorsque la personnalité juridique du tiers cessionnaire diffère de celle de l’adjudicataire cédant (fusion, scission entraînant la création d’une nouvelle entité juridique, …).
 
 
1.2.   Les conditions de la cession - l’accord du pouvoir adjudicateur :
 
D’une manière générale, la cession d’un marché public n’est soumise à aucune condition de forme.
 
Seul est requis l’accord du pouvoir adjudicateur sur le principe de la cession et l’identité du cessionnaire.
 
Cette exigence repose sur la nécessité pour le pouvoir adjudicateur de s’assurer des capacités du cessionnaire mais également sur la conception dualiste qui prévaut en droit belge dans le cadre de la cession des contrats qui s’analyse en une cession de créance jointe à une cession de dettes.
 
Sont incessibles les créances résultant d’un contrat intuitu personae, sauf accord du débiteur cédé.
 
Parallèlement, seul cet accord permet de contrecarrer le fait que la cession de dettes n’est en principe pas admise en droit belge.
 
Cette exigence d’accord préalable de l’administration connaît une exception en cas de cession résultant de la transmission universelle de patrimoine (fusion, scission, apport d’universalités, ….).
 
Dans cette hypothèse en effet, l’opposabilité de l’opération dans sa totalité (transfert des créances et des dettes) est régie par le code des sociétés en telle sorte que le pouvoir adjudicateur ne peut s’y opposer.
 
 
2.            Les conséquences de la cession de marché
 
 
2.1   Le transfert des droits et obligations au jour de la cession :
 
Le cessionnaire ne peut pas être tenu vis-à-vis du pouvoir adjudicateur des faits antérieurs à la cession, sauf à prévoir le contraire dans la convention de cession.
 
Le cessionnaire peut toutefois assumer une responsabilité pour les prestations de son prédécesseur s’il les a agréées (par exemple en poursuivant les travaux sur cette base sans réserve).
 
 
2.2. Le délai d’exécution :
 
En principe, la cession du marché ne modifie pas le délai contractuel d’exécution, qui continue à courir pendant la négociation de la convention de cession.
 
Il est toutefois généralement de l’intérêt de l’administration d’accorder au cessionnaire un nouveau délai d’exécution qui prend en compte les circonstances de l’espèce, sous peine de décourager le candidat cessionnaire.
 
 
3.            Les principes présidant à l’attribution des marchés : la concurrence
 
 
Dans un arrêt du 19 juin 2008 (C-454/06), la Cour de Justice des Communautés Européennes a décidé que la substitution d’un nouveau cocontractant à celui auquel le pouvoir adjudicateur avait initialement attribué le marché doit être considérée comme constituant une modification substantielle du marché public concerné.
 
Or, une telle modification substantielle apportée aux dispositions d’un marché public pendant la durée de sa validité constitue une nouvelle passation de marché.
 
En conséquence, compte tenu de cette décision, une cession de marché ne peut avoir lieu qu’après mise en concurrence effective des potentiels cessionnaires.
 
La Cour de Justice admet une exception à ce principe lorsque le nouvel adjudicataire résulte d’une réorganisation interne du premier cocontractant de l’administration (en l’espèce, le nouveau cocontractant est une filiale détenue à 100% par l’ancien cocontractant, ce dernier disposant d’un pouvoir de direction et les deux entités étant liées par un contrat de transfert des pertes et des bénéfices).
 
La « réorganisation interne » visée par la Cour de Justice ne semble pas viser la question de la personnalité juridique des deux entités cédante et cessionnaire mais une analyse concrète de chaque cas d’espèce pour déterminer si les termes du marché initial sont modifiés de manière essentielle.
 
Dans l’hypothèse où une mise en concurrence est requise préalablement à la cession, cette mise en concurrence sera le fait du pouvoir adjudicateur.
 
L’accord de ce dernier est en effet requis sur la personne du cessionnaire et l’administration est plus à même de suivre une telle procédure de mise en concurrence dont la lourdeur peut effrayer le cédant.
 
Cette solution pragmatique n’est toutefois pas retenue par tous (voir Liège, 26 avril 2007, Inédit).
 
Cette jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes peut également avoir un impact sur les recours.
 
Une cession de marché relève en principe de l’exécution dudit marché et ne peut donc être soumise au Conseil d’Etat (voir C.E. n°67.518 du 15 juillet 1997) sauf à démontrer que la décision du pouvoir adjudicateur d’autoriser ou non la cession du marché est un acte détachable du contrat attaquable devant le Conseil d’Etat pour autant que le recours vise le respect de la légalité et non la violation d’un droit subjectif (C.E. n°162.776 du 27 septembre 2006).
 
S’il y a mise en concurrence préalable, la décision de l’administration d’autoriser la cession du marché se confond avec une décision d’attribution susceptible d’un recours en suspension ou annulation devant le Conseil d’Etat.
 
 
4.            Conclusion
 
 
Sauf en ce qui concerne les recours, et selon la portée qui lui sera donnée, l’arrêt du 19 juin 2008 de la Cour de Justice des Communautés Européennes (C-454/06) risque d’alourdir pour chacune des parties toute cession d’un marché public à un nouvel adjudicataire.
 
Cet alourdissement ne remet toutefois pas en cause l’intérêt que peuvent trouver chacune des parties, adjudicataire et pouvoir adjudicateur, à la cession d’un marché.
 
 


[1] Voyez A. VANDEBURIE, S. DE RIDDER, « La vie du contrat dans les commandes publiques », Entr. et Dr., 2010/1, p. 31.
Avocat(s)