Cour d'appel Bruxelles : le recours forcé au TAS déclaré illégal

Le 29 août 2018, la Cour d’appel de Bruxelles a rendu un arrêt aux conséquences majeures et globales pour le monde du football et plus généralement du sport.

En effet, depuis 3 ans, la FIFA, l'UEFA et la Fédération belge de football se défendaient bec et ongles afin d'empêcher le RFC Seraing d'accéder à la justice étatique, soutenant qu’en vertu des clauses d'arbitrage figurant dans leurs statuts respectifs, tout joueur ou tout club n'avait d'autre choix que de se soumettre à l'arbitrage du TAS, à Lausanne.

Le RFC Seraing soutenait au contraire que ces clauses étaient abusives, puisqu'elles étaient unilatéralement imposées par les fédérations, lesquelles étaient assurées de jouer devant le TAS un "match à domicile", étant donné que ce sont les fédérations internationales qui financent pour l’essentiel ce pseudo tribunal arbitral.

Dans son arrêt, au terme d’une motivation précise et fouillée, prenant en compte tous les éléments mis en avant par les parties, la Cour d'appel de Bruxelles rejette totalement l'ensemble des arguments de la FIFA, de l'UEFA et de l'URBSFA. En revanche, elle accueille les prétentions du RFC Seraing.

Elle rappelle ainsi que l'arbitrage ne peut exister que sur base d'un véritable consentement des parties, une clause d'arbitrage ne pouvant dès lors porter que sur "un rapport de droit déterminé" (Convention européenne sur l'arbitrage, du 20 janvier 1996) et non pas, de manière tout à fait générale, sur tous les litiges qui pourraient survenir entre les fédérations et un club (ou un joueur).

Selon la Cour d'appel, les clauses d'arbitrage de la FIFA, de l'UEFA (et par conséquent de tous leurs membres) violent cette exigence de "rapport de droit déterminé", laquelle "se rattache au droit d'accès à la justice (article 6.1 CEDH et article 47 de la Charte des Droits de l'Homme de l'UE), au respect de la volonté des parties (éviter qu'elles ne soient surprises par l'application de la clause à des différends qu'elles n'avaient pas anticipé), voire également à la préoccupation "d'éviter que la partie qui se trouve dans une situation de plus grande puissance économique n'impose à la partie adverse un for général déterminé".

En d'autres termes, la Cour d'appel a jugé que tout le système d'arbitrage forcé imposé par les clauses des fédérations internationales et nationales viole l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme mais aussi son équivalent en droit UE, à savoir l'article 47 de la Charte des Droits de l'Homme de l'UE (qui garantit à tout citoyen ou toute entreprise UE l'accès à un juge indépendant et impartial dès lors qu'un droit qu'il tire des Traités européens est en jeu).

Au vu de cet arrêt et pour le futur, il est illusoire pour les fédérations internationales de tenter d'imposer à tous et pour tout un arbitrage devant le TAS. De plus, concernant le passé, il est fort probable que la validité de nombreuses sentences rendues par le TAS puisse être remise en cause, en raison de l'illégalité des clauses qui imposaient la compétence du TAS.

Rappelons que cet arrêt a été rendu par la 18ème Chambre de la Cour d'Appel, à savoir la Chambre spécialisée en droit de la concurrence et donc en droit européen, ce qui est un gage supplémentaire d'autorité.

A titre subsidiaire, la FIFA et l'UEFA soutenaient également que, si la Cour d'appel de Bruxelles devait décider que le TAS n'était pas compétent pour connaître du litige, l'affaire devait être renvoyée aux tribunaux de Zurich, siège de la FIFA (en application de l'article 2 de la Convention de Lugano, selon lequel dans une situation internationale, le principe est que l'on assigne le défendeur, en l'espèce la FIFA, à son siège). 

En se fondant notamment sur l'article 6.1 de la Convention de Lugano (qui, en cas de pluralité de défendeurs, permet d'assigner l'ensemble des défendeurs au siège de l'un d'entre eux), la Cour d'appel a totalement rejeté l'affirmation de la FIFA et de l'UEFA, selon lesquelles le RFC Seraing aurait mis la Fédération belge à la cause de manière artificielle, uniquement pour pouvoir assigner la FIFA et l'UEFA à Bruxelles. 

Après avoir souligné que les fédérations nationales participent à la mise en oeuvre des règles FIFA et UEFA (en l'espèce celles sur le TPO, sur le Fair Play Financier et sur les procédures arbitrales), la Cour d'appel juge notamment que: "La FIFA et l'UEFA ne peuvent se plaindre que la solution retenue par la cour serait de nature à permettre de contester tout règlement de la FIFA ou de l'UEFA devant les juridictions de tout pays, en dirigeant l'action également contre la fédération nationale concernée, ce qui heurterait les expectatives légitimes de la FIFA et de l'UEFA à n'être attraites que devant les juridictions suisses. En effet, la solution découle du caractère international (mondial pour la FIFA, européen pour l'UEFA) des activités de ces parties, et de la structure pyramidale de l'organisation du sport, faisant intervenir tant les associations faitières internationales que les fédérations nationales".

En clair, non seulement la FIFA et l'UEFA ne pourront plus se cacher derrière le TAS; mais - de plus - elles pourront être assignées devant tout juge étatique, dans tous les pays où leurs règlements sortent leurs effets grâce notamment à la collaboration de la fédération nationale concernée.

S'étant donc déclarée totalement compétente, la Cour d'appel de Bruxelles a fixé une audience au 4 octobre, afin "d'organiser la suite de la procédure".

Pour rappel, au fond ("suite de la procédure"), le RFC Seraing demande que soient déclarés illégaux - pour violation du droit UE - les règlements interdisant totalement le TPO, le règlement sur le Fair Play Financier et les règlements disciplinaires des fédérations (FIFA, etc.), dans la mesure où ils violent l'article 6 CEDH et l'article 47 CDFUE, notamment en ce qu'ils permettent des sanctions frappant des tiers (les enfants affiliés ou voulant s'affilier au RFC Seraing) 

Enfin, et c’est là une conséquence majeure de l’arrêt du 29 aout, l’illégalité prononcée par la cour d’appel n’affecte pas seulement le football, mais peut-être transposée à toutes les clauses similaires de toutes les fédérations sportives en Europe, qui sont pour leur immense majorité organisées comme les fédérations de football.
 

Avocat(s)