Blocage du pont de Cheratte : la CEDH valide la condamnation pénale

Blocage du pont de Cheratte : la CEDH valide la condamnation pénale

Dans un arrêt du 19 octobre 2021, la Cour d’appel de Liège avait condamné plusieurs personnes ayant pris part à un blocage avec barricade sur le pont autoroutier de Cheratte lors d’une grève générale à l’initiative de la FGTB le 19 octobre 2015, donnant suite à des mesures adoptées par le gouvernement Michel. 

Nous avions rédigé à l’époque un commentaire de cet arrêt, que vous pouvez consulter en cliquant sur le lien suivant : L’entrave méchante à la circulation routière lors d’une grève est pénalement répressible.

Les personnes condamnées (affiliés et représentants syndicaux) ont tout d’abord introduit un pourvoi en cassation contre cet arrêt, qui fut rejeté par la Cour suprême belge.

Elles ont ensuite décidé de soumettre la décision de la Cour d’appel à l’examen de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, en estimant que leur condamnation pénale portait atteinte aux articles 10 et 11 de la Convention européenne des droits de l’Homme (liberté d’expression et liberté de réunion et d’association, dont découle la liberté syndicale). Certains de ces requérants ont également dénoncé une atteinte à l’article 14 de la Convention, soutenant ainsi que la gravité de la peine qui leur était infligée était motivée par leur statut syndical, de sorte qu’ils faisaient l’objet d’une discrimination.

La Cour a procédé à une analyse détaillée de l’ensemble des circonstances en présence, qui l’ont poussée à considérer que les condamnations pénales pour "entrave méchante à la circulation", qui constituent effectivement une ingérence dans le droit à la liberté de réunion des requérants, visaient des objectifs légitimes (défense de l'ordre et protection des droits d'autrui) et respectaient le principe de proportionnalité. 

Elle a notamment pris en compte le fait que :

  • l’action des manifestants n’avait fait l’objet ni d’une déclaration, ni d’une autorisation préalables par les autorités,
  • le blocage ne donnait pas suite à un événement soudain qui aurait nécessité une réaction immédiate,
  • le blocage était particulièrement dangereux, car il empêchait toute circulation sur un grand axe autoroutier pendant plusieurs heures, y compris des ambulances et autres véhicules prioritaires,
  • les forces de l’ordre ont privilégié la discussion plutôt qu’une intervention immédiate, en raison de la dangerosité de la situation sur le pont et pour éviter des risques supplémentaires. 

À l’argument soulevé par les requérants, selon lequel aucun d’eux n’a commis d’acte violent ni n’a contribué à la mise en place des barrages ou à l’alimentation des feux, la Cour a répondu qu’ils s’étaient rendus sur les lieux et y étaient restés en pleine connaissance de cause, de sorte que leur inaction volontaire avait contribué à l’infraction pénale. Selon la Cour, la participation des requérants, qui n’était ni fortuite ni passive, constituait un élément essentiel du dispositif de blocage.

Enfin, la Cour relève que les peines infligées ont été individualisées selon le degré d’implication de chaque requérant et n’étaient pas excessives (15 jours à un mois d’emprisonnement avec sursis et/ou amendes situées entre 1.200 et 2.100 euros).

Pour l’ensemble des raisons précitées, la Cour européenne a conclu que, bien que l’usage de la sanction pénale devait rester une mesure exceptionnelle face à la liberté de réunion, la sanction infligée en l’espèce était, compte tenu des circonstances concrètes, justifiée et nécessaire dans une société démocratique.