La boucle administrative tuée dans l’œuf par la Cour constitutionnelle ?

La boucle administrative trouve son origine aux Pays-Bas. Elle permet, à certaines conditions, à une juridiction saisie d’un recours en annulation de proposer à l’autorité de corriger son acte plutôt que de l’annuler.

La boucle administrative a le vent en poupe auprès des législateurs belges : la loi du 19 janvier 2014 portant réforme de la compétence, de la procédure et de l’organisation du Conseil d’Etat en a doté le Conseil d’Etat en introduisant un nouvel article 38 dans les lois coordonnées, un décret flamand du 6 juillet 2012 l’a consacrée pour le Conseil pour les Contestations des Autorisations et le Gouvernement wallon en fait une priorité pour le Conseil des Recours en urbanisme et en environnement qu’il envisage de proposer au Parlement.

La boucle a cependant beaucoup moins la cote auprès de la Cour constitutionnelle qui vient d’annuler la boucle administrative  flamande.

Les motifs de l’annulation font craindre pour la survie de la boucle administrative du Conseil d’Etat.

La Cour constitutionnelle retient quatre critiques à l’encontre de la boucle administrative flamande : 

  • la boucle porte une atteinte discriminatoire au principe de l’indépendance et de l’impartialité du juge en permettant au Conseil, lorsqu’il propose l’application de la boucle, de « faire connaître son point de vue sur l‘issue du litige »,
  • la boucle porte une atteinte discriminatoire aux droits de la défense, au droit à la contradiction et au droit d’accès à un juge en ne prévoyant pas systématiquement de débat contradictoire sur la possibilité d’appliquer la boucle,
  • la boucle porte aussi une atteinte discriminatoire aux droits de la défense, au droit à la contradiction et au droit d’accès à un juge en ne permettant pas l’introduction de nouveau recours contre la décision corrigée,
  • enfin, la boucle viole les règles répartitrices de compétences en portant atteinte aux droits garantis par la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs parce que elle autorise que « les motifs d’une décision relative à une demande d’autorisation, de validation ou d’enregistrement puissent ne pas figurer dans l’acte lui-même et puissent n’être divulgués par l’autorité administrative compétente qu’au cours de la procédure devant le Conseil pour les contestations des autorisations ».

La deuxième critique n’est pas transposable à la boucle organisée devant le Conseil d’Etat car l’article 38 des lois coordonnées impose la tenue préalable d’un débat contradictoire.

Par contre, les première et troisième critiques nous semblent pouvoir aussi être retenues à l’encontre de la boucle du Conseil d’Etat :
  • la décision du Conseil d’Etat de proposer la boucle aura aussi pour effet de « faire connaître son point de vue sur l‘issue du litige » puisque la boucle ne peut être réalisée que si la correction du vice peut mettre fin définitivement à la procédure en cours, c’est-à-dire, en d’autres mots, si les autres moyens ne sont pas fondés,
  • la boucle du Conseil d’Etat ne permet pas non plus l’introduction de nouveaux recours à l’encontre de la décision corrigée. C’est d’ailleurs bien là l’un des intérêts majeurs de la procédure pour l’autorité administrative, qui la différencie d’un retrait-correction de l’acte.

Enfin, le quatrième grief retient aussi l’attention. En effet, si la Cour constitutionnelle y pointe prioritairement une violation des règles de partage des compétences, on relève qu’elle évoque aussi, au point B.9.5., l’article 6, §9 de la Convention d’Aarhus qui « exige que l’acte administratif en cause, pour autant qu’il relève du champ d’application de la Convention, soit communiqué au public « assorti des motifs et considérations sur lesquels ladite décision est fondée » ». La Cour laisse donc clairement entendre que le report de la production de la motivation dans le cadre de la procédure juridictionnelle pourrait aussi être contraire à la Convention d’Aarhus, ce qui pourrait invalider la boucle du Conseil d’Etat dans le champ d’application de la Convention, à savoir l’environnement au sens large.

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