Consécration de la théorie du "propriétaire immobilier apparent"

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Le récent arrêt du 22 janvier 2021 de la Cour de cassation, déjà plusieurs fois commenté dans la doctrine, apparaît comme une belle avancée dans la protection des tiers en cas d’anéantissement rétroactif du titre de propriété de celui de qui ils tiennent leur droit (voy. Cass., 22 janvier 2021, Not..Fisc. Maand., 2021/2-3, p. 87, note V. SAGAERT, R.W., 2020-21/34, note B. VERHEYE).

Les principes sont connus et peuvent être brièvement illustrés comme suit : A vend un immeuble à B. B concède ensuite un droit d’hypothèque sur ce bien à C. L’acte de vente intervenu entre A et B est par la suite annulé. En norme, l’effet rétroactif de l’annulation emporte la disparition de l’hypothèque de C. En effet, B est réputé n’avoir jamais été propriétaire de l’immeuble et n’a donc pu concéder valablement un droit d’hypothèque sur celui-ci. Le bien revient alors libre de toute charge dans le patrimoine de A.

Cette situation est évidemment hautement dommageable pour le tiers –  dans notre exemple, le créancier hypothécaire – qui voit son droit réel disparaître à l’issue d’une procédure qu’il ne pouvait anticiper.

La décision présentement commentée de la Cour de cassation aménage fortement ces conséquences dommageables à l’égard des tiers qui ont acquis un droit réel de bonne foi et à titre onéreux.

L’affaire à l’origine de l’arrêt de la Cour de cassation du 22 janvier 2021 concerne un bien immobilier, qui a fait l’objet des transactions suivantes :

  • aux termes d’un acte d’achat du 20 mars 1989, H.K. acquiert une moitié de l’immeuble et O.K. et A.O. acquièrent l’autre moitié ;
  • le 19 novembre 2007, les trois copropriétaires mettent fin à la situation d’indivision, O.K. et H.K. cédant leur part à A.O., qui devient alors seul propriétaire de l’immeuble concerné ;
  • par acte du 25 août 2008, A.O. concède à BNP PARIBAS FORTIS une hypothèque de second rang sur le bien immobilier, en garantie d’une ouverture de crédit. Cette hypothèque est dûment inscrite aux registres de l’Administration générale de la Documentation patrimoniale le 29 août suivant, afin d’en assurer l’opposabilité aux tiers.

Le litige naît lorsque l’administrateur de H.K. recherche et obtient l’annulation de l’acte de cession de parts du 19 novembre 2007 pour vice de consentement. On le sait, l’annulation a, en norme, un effet ex tunc. Cela implique qu’elle ne vaut pas seulement pour l’avenir mais qu’elle joue avec un effet rétroactif : ses effets remontent à la date de la conclusion de l’acte annulé. La Cour d’appel d’Anvers en tire logiquement comme conséquence que l’hypothèque constituée au bénéfice de BNP PARISBAS FORTIS tombe.

BNP PARISBAS FORTIS se pourvoit en cassation à l’encontre de cette décision, en prétendant que l’effet rétroactif attaché à une annulation ne porte pas atteinte au droit d’hypothèque qu’elle a acquis de bonne foi sur le bien. 

La Cour de cassation, sur conclusions conformes de son avocat général, accueille son pourvoi et casse l’arrêt de la Cour d’appel d’Anvers soumise à son contrôle.

Dans un bref attendu qui ne manque pas de surprendre, la Cour décide que "lorsque le titre du débiteur hypothécaire est anéanti avec effet rétroactif, l’hypothèque disparaît également, sous réserve de la protection des tiers qui ont acquis un droit réel limité de bonne foi et à titre onéreux" (traduction libre).

Cet arrêt est déjà analysé par la meilleure doctrine comme une application de la théorie de l’apparence en matière de propriété foncière (voy. V. SAGAERT, "Inschrijving en overschrijving gelden (soms) als titel: (eindelijk) bescherming van het rechtmatig vertrouwen in de hypotheekregisters", Not..Fisc. Maand., 2021/2-3, pp. 38 à 46 ; B. VERHEYE, "De (beperkte) theorie van onroerende schijneigendom naar Belgisch recht", R.W., 2020-21/34, pp. 1335-1342).

Ainsi, le tiers titulaire d’un droit réel est protégé contre l’anéantissement rétroactif du titre de son auteur, à la double condition :

  • qu’il soit de bonne foi, c’est-à-dire qu’il ignore les vices du titre de propriété de celui de qui il tient son droit ; 
  • qu’il ait acquis son droit à titre onéreux.

Relevons encore que la Cour de cassation s’exprime en des termes généraux dans l’attendu précité : elle ne vise pas uniquement les créanciers hypothécaires mais, plus largement, ceux qui ont acquis un "droit réel limité". Les enseignements de cet arrêt pourront donc également bénéficier au titulaire d’un droit réel d’usage (usufruit, servitude, emphytéose ou superficie) voire même, selon certains, à celui qui acquiert un droit de propriété sur un immeuble (voy. V. SAGAERT, "Inschrijving en overschrijving gelden (soms) als titel: (eindelijk) bescherming van het rechtmatig vertrouwen in de hypotheekregisters", op. cit., p. 42).

Pour conclure, nous épinglons l’article 3.17, alinéa 1er, du Code civil, dont l’entrée en vigueur est fixée au 1er septembre prochain par l’article 39 de la loi du 4 février 2020, disposant que "(l)a renonciation, la révocation, la résolution pour inexécution, la résiliation de commun accord, la confusion et la déchéance ne portent pas atteinte aux droits des tiers qui sont acquis, de bonne foi, sur le droit réel anéanti"

Cette disposition, combinée à la jurisprudence de la Cour de cassation que nous commentons, offrira une protection des tiers de bonne foi, d’une intensité inédite en droit belge.

Au regard de la sécurité juridique qu’elle insuffle, cette évolution doit assurément être approuvée.

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