Le Conseil d’Etat et la gestion journalière: (r)évolution jurisprudentielle ?

signature

La jurisprudence constante du Conseil d’Etat a toujours exclu de la gestion journalière, la signature d’offres constituées et soumises dans le cadre de la passation de marchés publics.

L’arrêt n°249.726 du 5 février 2021 pourrait toutefois initier un infléchissement jurisprudentiel important sur cette question.   

L’affaire soumise, en extrême urgence, à l’examen du Conseil d’Etat (12e chambre, néerlandophone, siégeant en référé) concerne la passation d’un marché public de travaux (rénovation d’un pont mobile) à une association momentanée formée par trois sociétés. 

L’offre retenue par le pouvoir adjudicateur est signée par le représentant de l’une de ces trois sociétés, notamment en vertu de procurations reçues des deux autres (il s’agissait, en réalité, de multiples procurations successives, « en cascade »).

Une telle cascade de procurations est, en soi, admissible, pour autant que le mandant initial, à l’origine de cette chaine de procurations, dispose bien du pouvoir dont il entend déléguer l’exercice (délégation légale).

En l’espèce, le pouvoir de signature reçu de l’une des deux autres sociétés était confié, initialement, par son délégué à la gestion journalière, outrepassant ainsi, selon la requérante, les pouvoirs limités qui lui sont conférés à ce titre : le signataire n’était donc pas titulaire d’une procuration valable lui permettant d’engager la société en question.

Evoquant, d’abord, le caractère jusqu’alors constant de la jurisprudence (celle du Conseil d’Etat, mais aussi de la Cour de cassation) sur la question (signer une offre dans le cadre d’un marché public n’est pas un acte de gestion journalière), le Conseil d’Etat rappelle ensuite le nouveau prescrit légal définissant dorénavant la gestion journalière (article 7:121 du Code des sociétés et des associations) pour constater que le troisième moyen de la partie requérante se base sur une jurisprudence relative à un texte qui n’a désormais plus cours.

Dans son arrêt, le Conseil d’Etat poursuit et :  

  • observe la discordance entre la notion légale actuelle de gestion journalière et son appréhension jurisprudentielle antérieure ;
  • constate que le moyen ainsi soulevé fait naître un débat juridique qui excède le cadre limité de l’examen en extrême urgence.

Compte tenu de ces incertitudes et du caractère prima facie de la procédure en extrême urgence, le Conseil d’Etat estime, à ce stade, que le moyen présenté n’est pas sérieux.

 

En mettant en exergue, dans son arrêt, la conception actuelle plus large de la notion de gestion journalière, le Conseil d’Etat se trouve désormais à la croisée des chemins.

Si un infléchissement jurisprudentiel semble pouvoir être perçu de l’arrêt n°249.726 rendu suivant la procédure d’extrême urgence, le caractère limité de son examen et l’impossibilité corrélative pour le Conseil d’Etat de se prononcer au fond, incitent à la prudence.

A la suite du législateur, le Conseil d’Etat ouvrira-t-il plus larges les portes de la notion de gestion journalière, afin d’y englober la signature d’offres dans le cadre de marchés publics ?