La vétusté, un concept… vétuste ?

Vétusté

Selon un arrêt du 17 septembre 2020 de la Cour de cassation, « celui qui, par sa faute, a causé un dommage à autrui, est tenu de le réparer et la victime a droit, en règle, à la réparation intégrale du préjudice qu’elle a subi. 
Celui dont la chose est endommagée (…) a droit à la reconstitution de son patrimoine, par la remise de la chose dans l’état où elle se trouvait avant ledit acte.
En règle, la personne lésée peut dès lors réclamer le montant nécessaire pour faire réparer la chose, sans que ce montant puisse être diminué, en raison de la vétusté de la chose endommagée. (…). L’arrêt qui décide d’appliquer à « l’ensemble des travaux de reconstruction » un coefficient de vétusté de 44% en sorte que l’indemnité de reconstruction allouée aux demandeurs est diminuée d’autant, au motif que « il doit être tenu compte de la précarité des fondations », viole le principe de la réparation intégrale du dommage
».

La Cour de Cassation sanctionne ainsi la déduction « en règle » d’un taux de vétusté.
Cette question est souvent débattue en pratique : si on déduit une vétusté, on risque, dans certains cas, de ne pas permettre à la victime de réparer ou de faire l’acquisition d’un bien de remplacement, l’indemnité perçue étant inférieure au coût de remise en état, au prix d’achat d’un objet neuf. Au contraire, si on ne procède à aucune déduction, le sinistre peut, dans une certaine mesure, devenir une source d’enrichissement pour la victime, en faisant en sorte que l’indemnisation la mette dans une situation plus favorable que celle qui était la sienne avant le sinistre.

La jurisprudence de fond était divisée sur la question, même si la Cour de cassation validait généralement la déduction de la vétusté.

Selon certains commentaires, l’arrêt précité opère un renversement de la jurisprudence de la Cour de cassation, en consacrant la prééminence du principe de la réparation intégrale, sur la crainte d’un risque d’enrichissement dans le chef de la victime, et ce de manière générale.

Les conséquences peuvent être nombreuses et variées, en droit immobilier (réparation ou renouvellement d’une partie d’immeuble endommagé), en roulage (remplacement de véhicule déclassé, et par définition, ancien),…

L’application de cette jurisprudence, de manière générale, nous semble cependant devoir être nuancée. 

Il faut tout d’abord éviter une conclusion entre un état de vétusté et l’existence d’un dommage préalable. La Cour de cassation a en effet rappelé, par un arrêt du 12 novembre 2019 que « si préalablement au sinistre, la victime a déjà subi un dommage (…), seul le nouveau dommage ou l’aggravation du dommage existant est indemnisé ».

Si la vétusté alléguée résulte par exemple d’un sinistre précédent et est illustratif d’un dommage, celle-ci ne pourra faire l’objet d’une indemnisation. 

Pour le surplus, il convient de rappeler les circonstances du cas d’espèce, portant sur des dégâts causés aux fondations d’une habitation ne présentant plus qu’une cohésion très faible. Les travaux de réparations nécessitaient la reconstruction d’une nouvelle fondation, laquelle, selon l’expert, entrainait une plus-value à l’habitation.

L’existence de cette plus-value apparait contestable. Le bâtiment ne semble pas pouvoir être vendu pour un prix majoré du simple fait que les fondations anciennes, qui apportaient satisfaction, ont été remplacées par des fondations conformes aux règles de l’art actuelles.

La situation est tout autre, lorsqu’il s’agit de remplacer par exemple un véhicule avec 150.000 km au compteur, déclassé, par un véhicule neuf. Le patrimoine de la victime s’en trouve amélioré à due concurrence. Il en va également de même, lorsqu’il s’agit de procéder au renouvellement complet des décorations intérieures, qui étaient déjà en place depuis une quinzaine d’années. Si on procède au renouvellement de ces décorations, on ne fait en fait qu’opérer un renouvellement ou remplacement, qui aurait dû en toute hypothèse, être réalisé à  brève échéance.

Par ailleurs, le principe de la réparation intégrale du dommage vise à remettre une personne dans la situation qui était la sienne, dans les instants qui précèdent le sinistre. Peut-on dès lors ériger en règle que plus aucune vétusté ne devrait être appliquée dans ce cadre ? 

Il n’est donc pas du tout certain que cet arrêt puisse être considéré comme étant fondateur d’une nouvelle jurisprudence en la matière, même si tout est cas d’espèce, et chaque situation devra donc faire l’objet d’un examen adéquat.


 

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