L’effet interruptif du recours en annulation est inconstitutionnel en ce qu’il ne bénéficie pas aux tiers lésés

balance de la justice

Par un arrêt du 11 février 2021, n° 21/2021, la Cour constitutionnelle conclut à la violation des articles 10 et 11 de la Constitution par l’article 2244, §1er, alinéa 3, de l’ancien Code civil en ce que l’effet interruptif de la prescription attaché aux recours introduits devant le Conseil d’État ne bénéficie pas aux personnes qui sont préjudiciées par l’annulation de l’acte administratif attaqué.

En l’espèce, à la demande de X, les deux désignations de Y (en mars 2002 et en mars 2008) ont été annulées par le Conseil d’État par deux arrêts de novembre 2008 et octobre 2011. Y introduit alors en avril 2012 une demande en réparation à charge de l’État belge, autorité ayant désigné illégalement Y, devant le Tribunal de première instance. Ce dernier estimant la demande prescrite, rejette la demande de Y. En seconde instance, la Cour d’appel de Bruxelles interroge la Cour constitutionnelle afin de savoir si l’effet interruptif du recours en annulation prévu par l’article 2244, §1er, alinéa 3, du Code civil ne serait pas contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution. 

En effet, cet article prévoit qu’ « un recours en annulation d'un acte administratif devant le Conseil d'Etat a, à l'égard de l'action en réparation du dommage causé par l'acte administratif annulé, les mêmes effets qu'une citation en justice ». Ainsi, le délai de prescription de 5 ans pour une action extracontractuelle de même que le délai de prescription de 5 ans prévu pour les créances à charge de l’État sont interrompus dans ce cas. 

Cet effet interruptif relatif aux recours en annulation devant le Conseil d’État a été introduit afin d’éviter, eu égard à l’arriéré au Conseil d’État, l’introduction d’actions conservatoires devant les tribunaux pour interrompre la prescription dans l’attente de l’issue de la procédure devant le Conseil d’État et d’ainsi encombrer les rôles des tribunaux civils d’affaires qui ne sont pas en état d’être jugées pendant des années. 

La Cour constitutionnelle, tout en rappelant qu’il appartient au juge a quo d’interpréter les règles qu’il applique, constate qu’en l’espèce, le juge a quo a considéré que cet effet interruptif ne bénéficie qu’aux personnes ayant introduit un recours en annulation et que, dès lors, la disposition ne confère pas ce bénéfice aux personnes qui ne sont pas parties à la procédure devant le Conseil d’État mais qui subissent les conséquences de l’annulation, à l’instar de Y dont les désignations sont annulées. Par conséquent, il existe une différence de traitement entre d’une part, les parties qui ont formé un recours en annulation devant le Conseil d’État, et, d’autre part, les parties qui subissent un préjudice de l’annulation de l’acte attaqué.

Rappelant son raisonnement habituel quant au principe d’égalité et de non-discrimination, la Cour constitutionnelle considère d’abord que cette différence de traitement repose sur un critère objectif, à savoir le fait d’avoir introduit un recours en annulation devant le Conseil d’État, et que la disposition en cause poursuit un but légitime d’intérêt général.

Cependant, la Cour constitutionnelle estime que « le législateur aurait raisonnablement dû estimer qu’il fallait tenir compte de l’effet erga omnes des arrêts d’annulation du Conseil d’État et que le dommage causé par un acte administratif illégal peut donner lieu à l’introduction d’une action devant le juge civil par des personnes autres que la partie requérante » (considérant B.11.1).

Dès lors, la Cour estime qu’ « [i]l résulte de ce qui précède qu’en ce que l’effet interruptif de la prescription qui est attaché aux recours introduits devant le Conseil d’État ne bénéficie qu’aux personnes qui ont formé le recours, à l’exclusion des personnes dont le préjudice causé par l’annulation de l’acte administratif attaqué n’apparaît qu’à l’issue de ce recours, la disposition en cause repose sur un critère qui n’est pas pertinent eu égard aux objectifs mentionnés en B.10, dès lors qu’elle oblige toujours ces personnes à introduire une action en réparation du dommage devant le juge civil, à titre conservatoire, pour éviter la prescription de leur action » (considérant B.12). La Cour conclut que l’article 2244, §1er, alinéa 3, de l’ancien Code civil viole les articles 10 et 11 de la Constitution.

Par conséquent, eu égard à l’interprétation de la Cour constitutionnelle, une personne préjudiciée par un arrêt en annulation du Conseil d’État peut, à l’issue de cette procédure, introduire une demande en réclamation contre l’autorité administrative devant les juridictions civiles sans que son action ne soit déclarée prescrite. Cette action s’ajoute à l’éventuelle action du requérant en annulation qui a la possibilité d’introduire une demande en indemnité réparatrice directement devant le Conseil d’État ou d’agir devant les juridictions civiles.


 

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