Indemnités de remploi et clause de funding loss

Quelles indemnités les banques peuvent-elles prélever en cas de remboursement anticipé d’un crédit professionnel ?

Les indemnités de remploi et plus particulièrement les indemnités dites de « funding loss » constituent une source fréquente de conflits entre emprunteurs professionnels et établissements de crédits.
Il est en effet fréquent qu’un professionnel décide pour diverses raisons de procéder au remboursement anticipé de son crédit.
Quelle n’est pas à sa surprise lorsqu’il se voit alors réclamer le paiement d’une indemnité dite de « funding loss » dont la raison est souvent ignorée et incomprise par les crédités.
Cette variété d’indemnité de remploi calculée de façon à indemniser les prêteurs en tenant compte de l’écart entre le taux du crédit et le taux du remploi peut dépasser très largement les limites de trois mois ou six mois d’intérêts prévues par la loi sur le crédit hypothécaire et l’article 1907bis du Code civil.
D’où la question de savoir si ces législations protectrices des emprunteurs peuvent être évoquées pour contester ces indemnités.


L’emprunteur professionnel peut-il invoquer la limite des 3 mois d’intérêts de l’article 12 de la loi du 4 août 1992 relative au crédit hypothécaire ?
 
L’article 12 de la loi de 4 août 1992 relative au crédit hypothécaire stipule qu’en cas de remboursement anticipé total ou partiel une indemnité de remploi peut être réclamée par l’établissement de crédit mais sans être supérieure à trois mois d’intérêts sur le capital remboursé anticipativement.
 
Toutefois cette limite impérative ne bénéficie qu’aux consommateurs privés puisque les crédits hypothécaires concernés sont d’ordre non professionnels.
 
Effectivement, la loi s'applique « au crédit hypothécaire ayant pour objet le financement de l'acquisition ou la conservation de droits réels immobiliers, consenti à une personne physique qui agit principalement dans un but pouvant être considéré comme étranger à ses activités commerciales, professionnelles (…) »
 
Dans certains cas lorsque le crédit octroyé est mixte, l’emprunteur professionnel pourra tout de même prétendre que son crédit, conformément à l’article premier de la loi, s’inscrit « principalement dans un but pouvant être considéré comme étranger à ses activités commerciales, professionnelles ou artisanales » et dès lors bénéficier des termes de la loi du 4 août 1992.
  
Si cette problématique existe dans certains cas limites où la destination du crédit dépend d’un examen circonstancié de la situation concrète, la CBFA a indiqué dans sa circulaire du 15 octobre 2003, qu’ « elle entend par « principalement » un crédit hypothécaire servant, à plus de 50 %, à des fins privées ».     
   
Il arrive que dans de pareilles situations, l’établissement de crédit préfère scinder l’opération en deux crédits distincts afin d’éviter tout litige postérieur. Cette méthode a été avalisée par la jurisprudence (Liège, 28 janvier 2010, R.G.D.C., 2010, p.475).   
 

L’emprunteur professionnel peut-il invoquer la limite de 6 mois d’intérêts prévu par l’article 1907bis du Code civil ?
 
L’article 1907bis et les avances logées au sein d’une ouverture de crédit
 
L’article 1907bis du Code civil stipule que « lors du remboursement total ou partiel d'un prêt à intérêt il ne peut en aucun cas être réclamé au débiteur, indépendamment du capital remboursé et des intérêts échus, une indemnité de remploi d'un montant supérieur à six mois d'intérêts calculés sur la somme remboursée au taux fixé par la convention ».
 
Il n’est pas contestable que cette disposition générale s’applique à tous les prêts y compris ceux destinés aux professionnels et aux entreprises. Toutefois, l’article ne régit que les crédits consentis sous forme de prêt ce qui exclut les ouvertures de crédit.  
 
Toutefois une ouverture de crédit peut tout à fait loger des prêts à intérêts.
Ainsi a été analysé comme un prêt le crédit d’investissement professionnel, non réutilisable sans l’accord du banquier, dont le capital est libéré progressivement au cours d’une période dite de prélèvement, celui-ci étant obligatoire ; alors que ne sera pas qualifié de prêt l’ouverture de crédit réalisable par découvert en compte courant réutilisable, à la meilleur convenance du crédité, sans qu’un nouvel accord du banquier ne soit requis. 
 
Application de 1907bis lorsque le contrat interdit toute possibilité de remboursement anticipé ?
 
L’article 1907bis est considéré par certaines décisions judiciaires comme uniquement applicable aux indemnités de remploi conventionnellement prévues dans le contrat de crédit ; il serait donc totalement inapplicable dans les hypothèses où le remboursement anticipé est expressément exclu par les cocontractants.
 
En effet, dans de tels cas, il convient d’admettre une indemnité équivalente au préjudice effectivement subi par l’établissement de crédit, généralement supérieur au plafond imposé par l’article 1907bis.    
 
Même si cette question fait débat au sein de la doctrine, la jurisprudence a déjà consacré cette thèse à plusieurs reprises.
 
Lorsque le contrat interdit complétement le remboursement anticipatif et ne prévoit pas les conséquences financières du non-respect de cette interdiction, l’établissement de crédit se trouve alors en position de force et pourrait simplement, sous réserve de l’abus de droit, refuser tout remboursement avant terme. 
 
La banque est en effet en droit, dans une telle situation, d’attendre que sa contrepartie exécute ses obligations.
 
Néanmoins, généralement, l’établissement de crédit n’agira pas de la sorte et acceptera un remboursement anticipé. Mais la banque est dans ce cas en position de réclamer, en contrepartie, une indemnisation pour couvrir ses « funding loss ».